Un jour de janvier 1917, un photographe nommé Alexandre Tardy se présenta et demanda s’il pouvait prendre quelques photos du fort pour montrer les conditions de vie des soldats, témoigner de cette période. Le cuisinier qui était le seul disponible à ce moment-là, l’accueillit et lui dit :
Le Lieutenant est absent, je ne sais pas si j’ai l’autorisation de vous faire rentrer.
Tout à coup, un bruit assourdissant les surprit, c’était le Lieutenant Chaunier et Emile qui arrivaient. La bataille de Verdun était terminée depuis quelques semaines mais ils n’avaient pas encore pu rentrer au fort. Alexandre Tardy ne put s’empêcher de prendre immédiatement une photo de l’atterrissage. Tous leurs camarades se précipitèrent vers l’avion pour les accueillir et voir comment ils allaient. Alexandre prit une photo des retrouvailles avant que le Lieutenant ne l’interrompe pour lui demander qui il était. Il se présenta et lui demanda l’autorisation de faire quelques photos du fort, avec eux si possible. Il se réjouissait de l’arrivée de ces deux hommes qui allaient rendre ses clichés encore plus intéressants. Tout le monde était curieux de savoir ce qu’ils avaient vécu, et c’est autour d’un repas bien mérité qu’ils se mirent à raconter leurs aventures.
Nous avions beaucoup de mal à nous diriger et à localiser les cibles ennemies à cause de la fumée et de la poussière qui provenait des éclats d’obus. Le bruit était assourdissant et constant. Tac, Boum, Paf : faisaient les moteurs d’avions, les bombardements et les tirs au sol. Nous avons découvert une ville ravagée, des constructions démolies, les toits arrachés par les obus. Tout était sale et boueux, sans plus aucune trace de végétation. Le ciel était sombre, gris. Nous étions impressionnés, nous ne nous attendions pas à un tel désastre ; la guerre avait pris trop d’ampleur. On se sentait coupable de cette destruction, des morts que nous avions provoqués mais toujours fiers d’avoir pu combattre pour notre pays.
Durant ce moment le photographe avait continué à prendre quelques photos mais une question le tourmentait. Ce jeune soldat qui boitait avait-il été blessé pendant la bataille ? Avant de partit il décida de lui poser la question. Ce dernier se montra évasif et parla seulement d’une blessure de guerre.
Une fois le calme revenu et le photographe parti, Emile, ébranlé par cette question indiscrète se replongea dans ses souvenirs. Il lui avait menti, ce n’était pas une blessure de guerre. Il y avait quelques années de cela, il était sorti de chez lui pour faire une course et à son retour il avait trouvé sa maison en feu. Sa femme se trouvait à l’intérieur, il avait essayé de la sauver, mais une étagère lui était tombée dessus, brisant sa jambe et l’empêchant d’avancer. Il ne put sauver sa femme et se réveilla à l’hôpital. Cet accident l’empêchait de dormir encore aujourd’hui, il avait toujours tout raté. Il songea alors que pour une fois, durant cette bataille, il avait réussi à atteindre ses objectifs.